BTL : C’est à cette période que tu rencontres Brian (Oeno/Jr Ewing)?
Armen : Ouais.
BTL : Et les disques…
Armen : En fait, à cette époque, j’écoutais beaucoup plus de CD ou de cassettes. J’achetais très peu de vinyles. J’en avais, j’avais tous les albums que j’avais achetés quand j’étais encore au Lycée les Public Enemy, les Run DMC, Planet Rock, Bambaataa, etc… Mais je n’étais pas un mec qui allait à Montparnasse ou à Champ Disques acheter chaque semaine ou chaque mois tous les albums : je les avais en CD ou en cassette. Et c’est Brian qui m’a clairement mis le pied à l’étrier en allant chez lui où l’on passait nos journées à écouter tout ce qui sortait.
Brian avait le Lab (boutique de disques), il mettait les beats actuels, les autres arrivaient, ils kickaient dessus… Et du coup, ça m’a plu. Et bien sur, c’est le fait d’avoir acheté des maxis qui m’a donné envie de produire des beats par la suite. Quand j’étais plus jeune, je faisais de la batterie et ai toujours eu envie de faire de la musique, l’idée à murit en écoutant tous ces maxis de rap ricain de devenir producteur, enfin de m’essayer à la production à un moment ou à un autre.
Puis effectivement, en travaillant avec L’Affiche, j’ai eu cette chance incroyable de voyager fréquemment à New York pour aller couvrir les artistes en promotion. Et, à cette époque, Brian me demandait de lui ramener des trucs, du coup, je commençais à les prendre en double, puis en triple. Brian voulait tout en double, donc je ramenais tout par trois, et à la fin je partais avec mon sac à dos, mes appareils photos, mes flashs, mes objectifs… Et je revenais avec un sac de sport supplémentaire rempli de vinyles. Et quand je te dis rempli de vinyles, c’est vraiment rempli de vinyles. Je savais même pas comment j’allais passer la douane, c’était chaud, il y avait tout le temps un risque (rires). Mais comme je l’avais fait avec le vélo, je m’en foutais un peu.
BTL : A cette période-là, quelles sont les plus grosses « claques » que tu t’es prises avec les disques ?
Armen : Ça ne va pas être chronologique mais il y a trois disques qui restent les maxis phares et marquants de cette époque. Deux que j’ai achetés, et un autre qu’on a acheté à Ticaret à l’époque : Le One Deep, ça, cherche pas… Quand j’ai ramené le One Deep, je crois qu’il y en restait que deux dans les bacs. Et ça a fait des envieux de ouf : tout le monde le voulait, et on était les deux seuls à l’avoir.
BTL : Tu es tombé dessus comment ?
Armen : En retournant par hasard dans une boutique prêt de la 26eme et Broadway dont j’ai oublié le nom, mais qui avait une solide réputation. Le magasin allait fermer définitivement et bradait tout son stock. Et puis à l’époque tu ne pouvais pas toujours tout écouter, alors c’était au pif. J’ai regardé le macaron, j’ai vu le perso un peu B Boy graffiti avec le gun, l’année de la sortie et j’ai dit ok, ça je l’achète direct.
Le NY Confidential , c’est moi qui l’ai ramené en premier.
BTL : Le gris avec la potence ?
Armen : Ouais. J’en ai ramené trois. Deux à Brian et un à moi. Mais il me semble qu’il est ressorti par la suite.
Et le Sparrow !!!!
Le Sparrow, ce qui est ouf, c’est que je l’ai pas acheté quand il est sorti à Ticaret j’avais plus assez d’argent et ça avait été une grosse semaine en terme de sortie… Et je suis arrivé chez Brian (d’ailleurs ça me l’a fait cent vingt fois, parce que Brian lui, il s’en foutait, il prenait tout) et il joue le morceau « Physics » ! Et là… je me prends une baffe, mais mec, j’en ai presque pleuré tellement j’étais dégouté de pas l’avoir, ce disque. Et je me souviens, ça a été une quête de six mois voir plus, dès que je revenais à NY, j’allais chez Beatstreet, Fat Beats, Rock’n Soul juste pour ce maxi. Et j’ai fini par le trouver. Mais c’était fou, ça me travaillait, j’en dormais pas la nuit. Tu sais, quand t’es face à un truc que tu as eu dans la main, et que tu ne le prends pas parce qu’il y a trop de maxis qui sortent cette semaine-là, et que tu rates le disque …
Et Brian me le faisait à tous les coups. Il me disait : « Quoi, t’as pas pris ce truc-là ? »Je lui disais : «Mais non, c’était pourri, ça, non ? » Et, effectivement, la face A était pas dingue et la face B… Ah la la, j’ai pris une gifle ! Je me suis dit « T’es le roi des cons ! ». Bon, heureusement, il me l’avait enregistré, mais ça ne suffisait pas, il me le fallait. (rires)
Sinon, mon meilleur groupe de cette époque-là, c’est Natural Elements. Ça, c’est vraiment un groupe que j’adorais. Et puis, toute la clique Hi-Tek, Shamus, Rugged Brood, Crime Wave.
Ensuite, tu avais les classiques : Microphone Terrorist, Dutchmin, Candy Store ! Le Don Scavone… Incroyable !… Children of the Corn Avec Maze, Cam’Ron, Bloodshed et Mc Gruff … C’était tous les mecs de Harlem (Big L…), et Candy Store et BBO c’était un peu les petits… Mr D Original, avec Now you Da U Man… Je les avais rencontrés. J’étais allé chez Solaar le mec de Djihad Records, il habitait au fin fond de Brooklyn, à côté de Coney Island, je m’étais tapé une mission pour aller le rencontrer. Nous, de toute façon, c’était pas compliqué, dès que c’était un peu racailleux, c’était pour nous (sourire).
BTL : Et la scène de Toronto?
Armen : Alors ça, c’est différent. On avait un pote, avec Brian, qui s’appelait Russ Edgert, il bossait chez Virgin à l’époque. On nous l’a présenté parce qu’on était un peu les « spécialistes » dans le rap indé sur Paris (avec Spank, Clyde et quelques autres)…
Les gens parlent pas beaucoup de ça, mais les premiers mecs qui ont vraiment collectionné les skeuds et labels indé, c’était Clyde, beaucoup plus que n’importe qui d’autre. Puis un autre mec qui était membre d’IZB, Medhi, un très bon pote de Sear qui a une collection de disques de ouf. Et puis Spank, bien sûr, Dj Fab et Brian. C’était vraiment le noyau qui se retrouvait pour acheter des skeuds, je précise bien de tous ces groupes et cette scène newyorkaise indés… On nous a donc présenté Russ… En plus, à l’époque, on avait notre radio show sur Génération et lui était super pote avec Frankenstein, Kardinal Offishal et Choclair… Donc nous sommes devenus super potes.
Avec Brian, l’idée nous trottait déjà dans la tête de faire notre propre Label : à chaque fois que je partais à NY, je ramenais des beats que l’on produisait avec Lenny Barr, et je ramenais des freestyles en exclu pour nos mixtapes… Au final, on s’est dit : « C’est le moment ou jamais ! » et on a créé « Savoir Faire ».
Le premier maxi, c’est Frankenstein, et c’est historique pour nous, parce que la même manière que j’ai cherché le Sparrow pendant des années, Brian a cherché le premier maxi de Frankenstein pendant super longtemps. Clyde l’avait joué sur une de ses mixtapes et, je sais plus où Clyde avait eu le disque mais si il y en avait un exemplaire sur Paris, et c’est lui qui l’avait. À chaque fois que je partais Brian me disait : « Frankenstein, Frankenstein… ». Je pars à Londres et par pur hasard, j’en trouve un en un seul exemplaire. Quand je suis rentré sur Paris, je l’ai donné à Brian. Donc Frank, ça avait un sens pour nous. En plus, il fait des beats de dingue… Attention ! Les beats de Frankenstein, pfff, tu tombes par terre. Russ fait venir Franck à Paris et nous voilà au studio de Lenny avec qui je faisais les beats (et nôtre duo A. N.D)… Et sort le premier maxi de Frank sur Savoir Faire Recordings… Il me semble que ce nom a été repris d’ailleurs, mais cela n’a juste rien à voir avec nous.
Ensuite, on a sorti celui avec Napoléon. Entre-temps, Choclair est venu à Paris pour faire sa promo : on l’a fait rapper sur une des mixtapes, sur un beat de Chimiste. Le premier freestyle officiel que l’on ait fait c’était avec Young Zee des Outsidaz sur un beat de Chaze. On s’est également connecté avec J Zone… un beat maker incroyable !
Brian avait un truc pour décrire les beats du style de ceux de J Zone. Un bon beat, pour lui, c’était un beat « Balthazar ». Un beat « Balthazar », c’était comme la marche des éléphants dans Le Livre de la jungle. C’était « un deux, un deux »… Et quand ton beat fait ça (en imitant le bruit), c’est un beat « Balthazar » (sourire). Pour lui, c’était un beat qui était lourd, « boom bap », tu vois ? On rigolait trop…
De toute façon, on s’est toujours marré comme des cons, c’était ça le truc surtout, c’est que ça revient à tout ce que j’ai envie de te dire depuis tout à l’heure, c’est que si tu ne fais pas ton truc avec passion ou en te marrant, tu fais un truc pourri. Le succès des cassettes de Brian, comme il le dit lui-même, n’est pas dû à ses talents de DJ, mais au fait qu’il est eu une bonne oreille pour mixer les disques.
Et j’avoue que l’amalgame de tout ça, JR au mix, moi qui jouais les jingles en live, pas préparé du tout, Lenny qui était entre autre ingé-son de métier mais qui faisait le con tout le temps – on se pétait de rire du matin au soir – c’est ce qui a fait que c’était bien et qualitatif. Et la radio pareil, jusqu’à ce que ça parte en couille avec Génération… A la radio, on s’éclatait comme des oufs, on se marrait… C’était un bon truc. C’était un bon moment à vivre, pour Brian aussi, ça faisait du bien : c’était l’après Arsenal, donc c’était dans la continuité de ce qu’il faisait…
BTL : Pour les mixtapes, tu intervenais sur les visuels ?
Armen : Non, je ne suis jamais intervenu sur les visuels, c’est toujours Brian qui a tout fait de A à Z. Faut savoir que c’était écrit « Armeni Blanco, Lenny Bar… » Mais c’était parce qu’on faisait ça dans nos studios, mais c’est toujours Brian qui a tout fait de A à Z.
Après, là où moi j’intervenais beaucoup plus, c’était sur ce qu’on pouvait appeler « la cerise sur le gâteau » : les jingles, les jouer en live quand Brian mixait. Ça, c’est un truc que les gens ne savent pas, mais ça n’a jamais été rajouté après, on enregistrait tout en live. One shot ! Et quand il plantait vraiment un mix, on repartait à zéro…
Il n’y avait pas Pro Tools à l’époque… On n’enregistrait pas sur un DAT, mais sur un 8 Pistes numérique. T’es DJ, t’es pas censé faire cinquante prises, alors Brian préparait ses mix à l’avance, ensuite il arrivait, il me donnait toujours le titre de la mixtape. C’est lui qui cherchait les extraits de films, ça a toujours été fait comme ça. Autant on peut lui reprocher d’être fainéant sur certains trucs, autant il est très méticuleux et très pointilleux sur d’autres … Et quand il faisait ses mixtapes, c’était vraiment léché, au millimètre près.
Moi je partais à NY, je ramenais les drops, si possible d’artistes que les autres DJ auraient peu de chance d’avoir à moins d’être allé à la rencontre des artistes. Cut et d’autres le faisaient déjà mais avec des artistes souvent signés en major et de passage à Paris, ils n’allaient pas forcément chercher des artistes indés comme nous. Certains Dj’s avaient des drops de Jay-Z, LL Cool J, tous les artistes qui vendaient (que nous avions aussi). Mais va chercher un drop de Mobb Deep (de la période LOUD Records), de Tragedy, de G-Rap, de Fat Joe, de Saigon ou de tous les indés cachés au fin fond de Brooklyn, du Queens et du Bronx… Nous , on les avait !
Mais vraiment, on se marrait, c’était la récré. Et les gens qui passaient, ils kiffaient : ils voyaient l’ambiance et ils comprenaient pourquoi les mixtapes étaient comme ça. Et il y avait peu de mecs qui assistaient à ça. Il y avait Chaze et parfois Gallegos parce que c’était la famille. Quand je faisais des beats, je travaillais et « manageais » deux jeunes rappeurs de Gennevilliers, Les Sous Scellés (Une grosse pensée à mon frangin Miguel aka P4, RIP), qui passaient de temps en temps. Il y avait Raphael et Rocca qui se sont retrouvés sur la spéciale Big Pun.
Ensuite, on faisait des beats avec Lenny quand on avait le temps, et puis à un moment j’ai pratiquement arrêté de faire de la photo et de la vidéo pour ne faire que de la musique. Pendant deux ans, je n’ai fait que de produire. Le résultat se trouve en parti sur le nombre de productions qui figurent sur l’album de Rocca, Elévation… Et puis je suis retourné à la photo et j’ai arrêté complètement de faire des beats. J’ai eu une MPC 2000 XL chez moi pendant longtemps, j’ai refait deux-trois prods, mais j’avais plus la passion et la motivation d’aller digger des samples, et puis j’avais mon métier qu’était la photo. Mais ça a été un bon break pour moi de faire de la musique et d’arrêter de faire de l’image.
BTL : Pour revenir sur Savoir Faire, vous aviez une troisième sortie de prévue ?
Armen : Oui, Natruel, un mec de Corona-Queens produit par SPK. Il avait fait un maxi « Live People/ Make it or You Die » avec Kool G Rap il me semble. Ça ne s’est pas fait pour plein de raisons. D’abord, le support vinyle ne se vendait plus. Le maxi de Frankenstein avait été un véritable succès qui avait largement dépassé nos espérances de ventes. On ne pensait pas en rééditer autant…
Napoleon, un petit peu moins. Le problème de Naopleon, c’est qu’au moment du maxi il est venu beaucoup en France, on lui a fait faire de la promo avec tous les supports existants et quand les gens ont réalisé qu’il parlait français (malgré qu’il vit et ait étudié aux Etats-Unis), ça un peu démythifié son statut. Puis il a mis du temps à sortir des projets derrière, donc il n y a pas eu de rebond… Au final, c’est quand même nous qui payions tout. On a investi notre propre argent, on ne pouvait pas tout faire. Et les trucs, on les a faits spontanément, c’était pas calculé. C’est Brian qui a appelé ça « Savoir Faire », mais on n’a jamais eu l’intention de faire un label et de produire des artistes Américains. On l’a fait parce que ça nous faisait plaisir, et que l’on s’est donné l’occasion de le faire. Pour le maxi avec Frankenstein – je suis un peu déçu du mix car ça un peu détruit la saveur original– mais j’avais ce beat qui était très « Balthazar » d’ailleurs, qui était prévu pour Raphael, et qu’on a filé à Frankenstein finalement parce qu’il l’avait kiffé.
Et la face B, le remix, c’est Frankenstein et moi qui l’avons produit tous les deux. Je me souviens qu’il est arrivé avec le sample et c’est moi qui ai joué le beat avec lui, et c’est Frankenstein qui a fait les scratchs. Le Napoleon était produit par nous et la face B par mon pote Alsoprodby. On avait tout enregistré et mixé dans les studios de Cut d’ailleurs. C’était cool, une bonne époque ! Mais, malheureusement, est arrivé ce qui est arrivé : l’incendie chez Brian, il a perdu tous ses disques. Et là, c’est un peu comme si la réalité nous avait rattrapé.
BTL : La fin d’une époque…
Armen : D’une époque, de plein de trucs…
Moi, de toute façon, j’avais tout ce que Brian avait sur les dernières années, parce que l’on achetait tout en double etc., donc c’était pas un problème en soi s’il avait envie de faire une Pure Premium. D’ailleurs, il a encore des disques à moi, mais ça ne me dérange pas, c’est cool au contraire. Donc s’il a besoin de faire une Pure Premium demain il sait qu’il a mes disques.
Mais c’est la fin d’une époque aussi car il y a moins de choses qui sortent, le MP3 arrive, la fin des mixtapes de Brian… Pour la majorité des trucs, on était obligé de louer des platines CD. Moi, je gravais les MP3 qu’Ammo m’envoyait… Un autre membre important est venu s’ajouter à la team et qui a vraiment contribué aux mixtapes c’est Ammo. A la base un passionné de Rap qui a grandi à Metz et qui est par la suite devenu journaliste. C’est vraiment l’exemple même d’un gars passionné qui s’est servit de l’outil internet dès le début et qui s’est mis en contact avec énormément de gens à NY, il arrivait à nous avoir des tracks en exclu qui ne sortaient ni sur vinyles ou autres supports. Ce qui est d’autant plus drôle c’est qu’il bosse dans l’industrie musicale aujourd’hui.
Sur la fin, on avait énormément de MP3, donc on était obligé de graver des CD, et mixer du CD et des vinyles, ça devenait compliqué. C’est là que les mixtapes ont perdu un peu leur « âme », parce que du coup, même si les mix étaient bons, il est vrai que ça avait perdu de ce côté live et spontané.
BTL : Vous captiez l’engouement qu’il y avait pour les disques que vous jouiez sur les tapes ?
Armen : Non, pas du tout. C’est arrivé après en fait. C’est-à-dire que quand Brian avait arrêté de faire ses mixtapes, c’est venu par le Japon : c’est les Japonais qui ont commencé à collectionner ses mixtapes et à les acheter à des prix exorbitants, vraiment. Et après, les mecs faisaient des listes et cherchaient les vinyles de tout ce qu’il y avait sur les tracklists. Et pour la majorité, c’était sur des vinyles qui n’étaient plus pressés ou ce qu’on appelle dans le jargon « Deadstock », ce qui a fait que les mixtapes ont pris plus de valeur.
Moi, je n’avais aucune idée de ça. Un jour Brian me dit d’aller voir ce que valait le One Deep sur E Bay : un disque que j’avais payé $5.00 qui en valait $300.00. On était comme des oufs. Pourquoi c’était aussi cher ? On ne comprenait pas. Et après, c’est Tieum* qui nous a dit « Les mecs vous vous rendez pas compte, les mixtapes, c’es dut n’importe quoi, le tracklist, c’est de l’or en barre ! » Brian a commencé à comprendre, et du coup on a commencé à rééditer les cassettes en CD. Je ne faisais pas d’argent dessus, tout était à Brian en réalité. C’est son concept à la base. Nous, on est des personnes satellites qui ce sont greffées au projet, mais c’était vraiment son concept, ça lui appartient complètement. Après, est-ce qu’il aurait pu les faire sans moi ou sans Lenny ? Je ne sais pas, c’est lui qui pourra te le dire. Mais ça reste Jr Ewing !
BTL : Il y avait une alchimie.
Armen : C’est ça le truc. Ça aurait pu aussi se faire sans nous en réalité, je pense. Mais cette alchimie-là s’est créée, elle a amené aussi un « plus qualité » au produit final, qu’on retrouvait à la radio également.
Pareil, quand on est arrivé à la radio, on n’écoutait que la radio américaine, on l’enregistrait, les mecs gueulaient au micro mettait du delay sur les voix, y’avait une énergie qui accompagnait chaque nouveauté que l’on ne retrouvait pas en France etc… Et ça je peux te l’assurer avec tout le respect pour les collègues, nos amis qu’on avait à l’époque, c’est moi qui l’ai fait en premier. C’était Ron G, DJ Clue, les mixtapes US… Très vite derrière et une fois de plus, les autres l’on fait, mais je pense sincèrement que pour ce concept-là, c’est nous qui sommes arrivés avec les premiers. Les DJs n’osaient pas parler sur Paris. Cut ne parlait pratiquement pas sur ses mix-tapes ou dans son radio show. LBR animait quand il faisait Génération, ou Nova, ça parlait, mais y’avait pas cette énergie que tu retrouvais aux US …D’un genre, Sydney avait plus d’engouement dans sa manière d’animé à l’époque de Radio 7 que tous les DJ’s français par la suite. Puis par la suite, il y a eu une vraie « concurrence » entre guillemet. La concurrence, c’était Couvre-Feu, BOSS, Bum Rush… et nous ! On était sur la plus petite radio, eux étaient tous sur Skyrock et nous on était sur Génération. Et pourtant on était autant écouté, si ce n’est plus, qu’eux. Et je le dis vraiment humblement parce qu’on nous a montré les chiffres et les sondages radio et ça concerne bien entendu de ce type d’émissions spé, mais on le savait. Les gens nous demandaient ce que l’on avait joué. C’est là qu’Ammo a vraiment intégré la team parce qu’il nous fallait des exclus que les autres n’avaient pas. Un peu comme dans les sound-systems reggae/dancehall. Beaucoup d’exclus que l’on jouait, c’est Ammo qui nous les envoyait. Mobb Deep ou les artistes qui gravitaient autour d’eux qui nous envoyaient des tracks exclus pas mixés…. On était début 2000, Mobb Deep, c’était les Jay Z de l’époque, c’était les dieux de la street, tout le monde voulait du Mobb Deep. Nous, on était vraiment les seuls à jouer leurs exclus, car nous étions les seuls à les avoir et à être en relation direct ou indirect avec le crew de QB.
Jr Ewing – Pure Premium Interview
BTL : Au Niveau des mixtapes, Il y avait celles de Cut, Clyde, Poska… vous êtes arrivés avec un concept différent…
Armen : Oui, parce que Cut, avait tout fait. De la mix-tape concept US aux freestyles Rap Français à ses propres compilations. C’est-à-dire qu’il allait te mettre un Redman, un Busta Rhymes avec un truc un peu plus indé , mais ça restait de par son statut très mainstream. Mais nous, c’était que de l’indé. Et c’était de l’indé auquel, si à une époque tu n’étais pas tous les mardis à Ticaret, Urban ou Sound Records, tu n’avais pas accès… C’était »reservé » à un certain groupe de gens. Et une fois que les maxis étaient partis, on ne pouvait pas les recommander parce que c’était les arrivages de la semaine, ça arrivait par dix. C’était vite vu, t’as dix voir quinze exemplaires au grand max : Brian qui en prenait deux, Spank qui en prenait peut-être deux, Cut, Clyde, Mehdi et moi … Forcément, j’oublie des gens, mais en gros c’était ça, c’était ce noyau-là qui tous les mardis étaient là. Poska et Lord Issa aussi, de temps en temps. Le problème, c’est que Poska et Cut, eux, jouaient déjà dans des soirées, donc ils avaient besoin d’acheter des disques qui allaient faire danser les gens alors que nous on s’en foutait total. Nous, on voulait acheter des disques qui allaient faire hocher la tête des gens dans leur voiture et, comme le disait Brian, qui allaient « faire tirer les mecs en l’air ».
Si il y avait un morceau de ouf de Busta Rhymes, on allait le prendre, évidement. Même si fut un temps nous avons organisé le concept des soirées Grand Chelem sur Paris, nous n’étions pas Cut Killer, LBR, Poska, Lord Issa… Eux, c’est des mecs qui ont tenu les soirées de Paris, nous pas, on tenait éventuellement la radio et surtout les mixtapes. Je dis « nous », mais moi je faisais rien, je n’étais même pas DJ, c’est Brian qui tenait le truc. En revanche, ça nous a donné une réputation au final presque aussi vénère que les autres DJs sur Paris, parce qu’on jouait dans une autre catégorie avec une sélection complètement différente.
Et puis après est arrivé Pone. Pone qui était quand même l’enfant du Double H et qui se retrouvait dans le côté obscur avec Brian (rires). Ils ont formé les Narcotic Brothers. Toute ces époques-là, on a l’impression que c’est loin, mais c’est passé à une vitesse, t’as même pas idée… Ce que l’on a fait en un mois, deux mois… C’est comme je te disais tout à l’heure, avec le début du Hip Hop. Le début, c’est 1982-83, New York City Rap qui arrive à Paris, bim, on est dans le break, la salle Paco, la Grange aux Belles, le terrain vague… Et en fait, t’as l’impression que ça s’est fait en dix ans, mais ça s’est fait en deux ans à peine.
Les années 90, tout le monde appelle ça la « Golden Era » pour une bonne raison : entre les trucs de dingue signés en major avec Biggie Small en tête au Wu tang et compagnie… Je me souviens d’avoir écouté la première cassette de l’album du Wu Tang, j’avais l’impression que c’était une blague. Quand on me l’a fait écouter la première fois, c’est mon pote Bamba qui me les a fait découvrir, il avait un magasin du nom de Juice dans Paris, et on lui avait donné la cassette démo du Wu Tang. Et je me souviens avoir accroché immediatement à « Proteck Ya Neck » mais le reste je me suis dit « C’est pas possible, ils ont enregistré ça dans un cagibi, c’est une blague. » Et tout d’un coup, le fléau Wu Tang est arrivé et j’ai re-réfléchi à ce que j’avais dit, mais c’est dingue, car ils avaient remixé et remasterisé l’album, ça avait pris une autre ampleur… Ils étaient sur Loud Records/BMG, et avec tout ce qui était sur Loud Records, tu te prenais des gifles.. Le label Priority… c’était un label distribué en major, il s avaient Capone’N Noreaga mais aussi des gars que personne ne connaissait à la Half-A Mil et son maxi « Some Niggaz » que j’étais allé shooter pour L’Affiche en 1998. Ali Vegas également. Il avait été signé par les Trackmasters tout comme Fifty Cent, pareil. Brian avait son premier album qui avait été retiré des bacs par Columbia après qu’il se soit fait tirer dessus parce qu’il était incapable de promouvoir son album. Les Trackmasters on kiffait grave : Sporty Thievz , ça tuait.
Au final, dans les années 90, tu avais Biggie, 2 Pac, Mobb Deep, Wu Tang, Gravediggaz… mais à côté de ça, tu avais aussi tous les artistes de ouf qui sortaient en parallèle, avec des trucs qui étaient aussi qualitatifs que ceux-là, dans lesquels on était à fond.
BTL : Et pour revenir aux mixtapes, laquelle tu préfères parmi celles auxquelles tu as participé?
Armen : Franchement, c’est compliqué. Je suis incapable de te dire. Je sais qu’il y en a une que j’ai écoutée plus que toutes les autres. Je crois que c’était celle avec le journal, avec Big L et Mobb Deep en couverture, Ghetto News, la numéro 3. Les New York Chainsaw Massacre, elles étaient dingues. Son of a Gun, on s’était bien pris la tête, parce qu’on avait eu beaucoup de tracks exclus, des freestyles, genre les Tomorrow Weapons, tous ces mecs-là nous avaient fait des morceaux que pour la tape. J’avais rencontré German Lugger , c’est un mec qui devait exploser, mais il est parti en couille. Pour moi, lui, c’était une sorte de nouveau Big Pun. Quand j’ai écouté ce mec, je me suis dit « trop fort », et il est parti en couille, il a fait du Reggaeton… Qu’est-ce que tu veux que je te dise…
Le morceau que j’avais fait avec Ali Vegas, à la base, c’était pour notre tape, et il s’en est servi pour un projet à lui quelque temps après tellement il l’avait kiffé. C’était un beat que j’avais fait tout seul. Trop de disques, en réalité. Ce qui est horrible, c’est que j’ai oublié plein de noms parce que je les écoute pratiquement plus, c’est ça qui est triste.
BTL : Ça fait 20 ans…
Armen : Déjà, et puis j’écoute ce qui se fait aujourd’hui. J’arrive à apprécier ce qui se fait aujourd’hui. Mais ce qui est paradoxal à tout ça et que j’écoute le plus en réalité ce sont les premiers radio show de Red Alert, Marley Marl… des années 80’s. C’est ce que j’écoute le plus :Très Old School, sans tomber dans la nostalgie car j’ai vraiment vécu le truc.
BTL : En terme de clips, que penses tu de l’évolution. PNL par exemple.
Armen : PNL c’est très fort ! Tout leur concept est intéressant, j’aime bien leur partie pris de ne pas donner d’interviews, de se faire rare et inaccessible. Leur concept de clip est très intelligemment pensé. Le fait de prendre des destinations différentes et inhabituelles aux clips de Rap français. Ils ont apporté un délire. Après je ne trouve pas ça forcément bien réalisé, mais c’est pas le débat.
BTL : ça casse des codes.
Armen : ça casse des codes, même si ils ont fait des clips en cité, celui à la Scampia où a été tourné la série Gomorra… C’est marrant, je trouve que depuis ces deux dernières années, il y a toute une nouvelle génération qui s’est construite avec tout. C’est à dire, avant tu avais la musique et puis l’image. Et ses dernières années, c’est la musique et l’image.
Et je suis à fond avec ça. J’ai toujours pensé que les labels ou artistes qui avaient réduit les budgets dans les clips et les photos quand la musique à commencé à moins vendre, s’étaient complètement gourés et trompé de débats. Certes les ventes de supports physiques avaient diminué, mais tu as jamais eu autant besoin de voir un clip ou voir des photos d’un artiste que maintenant, parce que tout ce que le net a à t’offrir. On a jamais eu autant besoin de qualité qu’aujourd’hui. Alors certes on ne regarde plus MTV ou autres chaines musicales du câble qui ne produisent plus que des shows de télé réalité de merde, mais les choix de ceux que tu regardes sur Youtube revient au même au final. D’autant qu’aujourd’hui, tu peux connecter ton odrinateur à ta télé et si tu es plus chanceux, un support comme Youtube est déjà integré dans ton téléviseur. Il faut arrêter de croire que l’on a plus besoin d’investir sur l’image et les clips en particulier. Les gens qui l’ont compris, c’est des mecs comme PNL, comme Joke, pleins d’autres gars… il y a toute une nouvelle génération de réalisateurs que je trouve très bon aussi, qui ramènent un esthétisme qui n’a plus existé pendant longtemps en France. Depuis ses dix dernières années, les clips pour moi n’étaient plus esthétiques du tout. Les gens faisaient de la performance et se foutait bien de savoir à quoi ça ressemblait. Là il y a des réalisateurs comme Nicolas Noël qui fait du très bon boulot. Il a fait des clips pour Dosseh, SCH. Les mecs de Beat Bounce ne sont pas trop mauvais non plus. En photo également, il y a de plus en plus de mecs qui ont un style qui sort de l’ordinaire. Je pense à un jeune photographe qui s’appelle OJOZ, qui a fait pas mal de trucs pour Joke, 2010 et plus récemment Nekfeu et Disiz. Il amène une touche un peu plus mode, qui me sensibilise un peu plus aujourd’hui et que j’aime bien. Une esthétique différente que d’aller shooter un mec torse nu sur un fond noir… je trouve que c’est un peu plus travaillé.
BTL : Dernièrement, quel clip t’as marqué?
Armen : Rien ! Ou si le clip réalisé par ma copine Nathalie Canguilhem pour Dosseh et Nekfeu. Au delà du débat et des raisons pour lesquelles il a été retiré des écrans, c’est le meilleur clip qui soit sorti en France en 2016.
BTL : Même hors rap. Je pense aux clips de M.I.A récemment.
Armen : Bien sur que si « Borders » une sur tuerie. Pour être honnête je ne regarde plus les clips de la même manière et au final j’arrive très vite à me lasser par ce que je vois. Je me demande même si les gens ne commencent pas à être comme moi. Avant un clip c’était un événement. Et aujourd’hui il y a tellement de clips sur Youtube avec une créativité et une qualité qui va de ce qu’il y a de plus pourrie à ce qu’il y a de mieux, qu’au final ton œil et ton cerveau devient façonné par ce qu’il y a de plus médiocre et le grand public a du mal discerner le bon du mauvais. De plus, n’y a plus l’effet spectacle, de se dire « Ouahhhh ». Ce qui arrivait pratiquement tout le temps dans les années 90’s ou début 2000. Maintenant tu consommes tout trop rapidement ce qui est également lié à la manière de consommer la musique. C’est pas bon, parce que je ne devrais pas être comme ça, surtout dans ma position. Mais je n’ai plus cette passion là, je vais te dire « Super », je vais le partager, mais il n’y a plus en moi cet engouement qui a motivé mon envie de devenir moi même réalisateur. Heureusement j’ai d’autres sources d’inspiration, mais je combats du mieux que je le peux cette banalité que l’on retrouve dans les clips vidéos actuels. Dés qu’il y a une tendance, tout le monde fait pareil. Ca devient de plus en plus difficile de dissocier les réalisateurs et leur style. Je prends pour exemple les films de Spike Jonez, d’Hype Williams ou de Paul Hunter ou encore de Mark Romanek, Chris Cunningham, Jonathan Glazer …
Aujourd’hui c’est très difficile de différencier les réalisateurs et de dire qui fait quoi. Quant aux clips de rap français, tu as l’impression que tout le monde pourrait les faire. Ce n’est pas une critique très sympa, mais c’est une critique très réaliste. L’internet et le DSLR ont vraiment contribué à cette démocratisation et ce manque de créativité. C’est le progrès certes, c’est aussi donner la chance à des personnes qui n’auraient pas fait d’études spécialisées de s’exprimer, mais réalisateur c’est un métier qui requière un minimum de talent.
BTL : Le matériel, les logiciels (photos, dj…) sont devenu de plus en plus accessible, et les fonctionnement sont de plus en plus simple. Tu penses pas que ça limite la créativité?
Armen : Tu as deux manières de le voir. Il y a des gens qui vont te parler de se surpasser et qui vont avoir besoin de concurrence pour stimuler leur talent. Ce qui est mon cas. Le pire c’est de se retrouver noyer parmi une liste de soit disant réalisateur ou photographe et que personne ne soit capable de te dissocier des autres . Une des raisons de mon départ aux Etats Unis. L’autre, c’est d’accepter le challenge et de se dire que si l’on aime vraiment ce que l’on fait, il faut redoubler de talent pour se différencier des autres. L’évolution technique c’est une chose, le talent s’en est une autre. Il faut apprendre à se remettre en question et être ouvert à la critique et au progrès. De plus je viens d’une école très différente de la génération actuelle. Lorsque je shootais une couverture pour un magazine et que l’on te donnait à peine 10 minutes parce que l’artiste enchainait derrière toute la presse et la promo, je devais en 2 pellicules de 12 poses tirer le maximum de la séance photo. Autrement dit en 24 images et 10 minutes, il me fallait avoir de quoi faire la couverture et illustrer l’article. Avec le numérique, tu vois directement ce que tu shootes, donc tu as le droit à « L’erreur » parce qu’il te sera possible de rattraper le tire sur place ou avec Photoshop, et surtout tu peux shooter 100 clichés sur une même carte et de fait, t’offrir plus de possibilité. Ce qui n’était pas le cas avant. Mais c’est aussi cela que j’appelle être un photographe, c’est ce côté artisanal, de prendre un film, de savoir l’exposer et bien sur, d’avoir l’œil ! Car ce n’est pas l’appareil qui prend les clichés et qui en fait des œuvres, mais bien toi et ton interprétation du sujet.
BTL : Quand tu parles des deux pellicules comme tout à l’heure, tu ne trouves pas que les contraintes techniques ça permet de te surpasser, d’être créatif…
Armen : A la fin tu n’es plus créatif. Moi ça m’est arrivé, j’avais un photo shoot avec Jay-Z, ou l’on m’a dit tu fais la couv de Rap US et la couv de Groove, et il faut que les deux séances photos aient l’air d’être différentes. Quand je faisais mes photos, il y avait le chargé de presse de la maison de disque et du label qui me tapait sur l’épaule toute les 2 minutes pour me dire «ça suffit, ça suffit », et je me suis retourné vers lui pour lui dire que je shooté une couverture de magazine et que certes, il en avait peut être rien à foutre de la France, mais que j’avais un travail à faire. Et ça m’a tellement stressé que j’en ai oublié de mettre une pellicule dans mon appareil. Chose que tu ne feras jamais avec le digital. Donc j’ai toute une partie de ma série que j’étais persuadé d’avoir fait avec Jay-Z qui jouait au billard dans son studio au Baseline que je n’ai pas. Je sais pas ce que j’ai fait, j’ai du intervertir mes dos de boitier…je ne sais pas ce que j’ai foutu, mais j’ai fini par shooté alors qu’il n’y avait pas de pellicules dans mon boitier. Et ça m’est arrivé plus d’une fois. A ce moment là tu n’es plus créatif hahaha.
BTL : Tu préfères ramener une idée, ou tu préfères quand les mecs ont déjà une idée?
Armen : En général je fonctionne comme ça: Si j’en ai la chance, j’écoute l’album quand il est en préparation, que ce soit quand tout les titres sont enregistrés mais pas mixés, soit quand s’est encore à l’état de maquette, même si aujourd’hui plus personne ne fait des maquettes. L’artiste me dit en gros les différents titres qu’il a pour l’album, ou les noms des titres des morceaux. Ca a été le cas pour « le combat continue », pour « Ouest side », d’ou le succès des ses pochettes. Je suis arrivé à la construction même de l’album, donc j’ai tout écouté depuis le début y compris les titres qui n’ont pas figuré sur la version finale de l’album, ça a eu le temps de murir et ça me permettait d’arriver avec le concept ou bien de le partager avec l’artiste, le management, ou le label. En l’occurrence pour Idéal J c’était très facile parce que les deux labels étaient Arsenal et Alariana, qui sont des labels qui m’ont toujours fait confiance et avec lesquels il y a toujours eu un échange créatif. Pour le « Combat Continue » l’idée original de la cover s’est retrouvé sur le dos de l’album. C’est à dire que c’était la personne enroulait dans le drapeau Français, comme une sorte de statue de la république ou de la liberté qui devait être le visuel . Mais comme je trouvais que l’image n’était pas assez forte, je l’ai dèjà expliqué en interview, j’ai demandé à la personne de prendre le drapeau dans ses mains et de le serrer le plus fort possible. C’est en quelque sorte un symbole beaucoup plus puissant qui, et nous le savions, allait forcément resté dans les « anales » rires. « Ouest side » pareil. Mais quel que soit le cas, j’écoute toujours ce que l’artiste a à dire, car cela reste avant tout son projet. On se doit aussi de se mettre a son service et de l’aider le plus possible dans sa démarche. D’ou le fait que l’on me considère aussi comme une sorte de Directeur Artistique image. Ca réunit mes diverses étiquettes et mon expérience dans ce métier.
Booba – "Pitbull" from Armen Djerrahian on Vimeo.
BTL : il y aurait eu un artiste que tu aurais aimé clip de la période dont on parlait tout à l’heure?
Armen : Non, le seul artiste avec lequel j’aurai vraiment aimé collaborer depuis c’est Stromae, mais tout les autres, non pas que cela me soit égal, mais cela m’importe peu en réalité. Parce que c’est un échange, c’est à dire que j’ai pas pour nature d’aller quémander. Je sais qu’il y a des manières de le faire, d’aller voir un artiste, de lui dire « j’adore ce que tu fais, j’aimerai collaborer avec toi… ». Mais si j’ai choisi d’être derrière l’objectif c’est aussi parce que j’ai une certaine timidité, une certaine réserve voir pudeur, et aussi des principes qui viennent de mon éducation, ou peut être qu’à force de me dire « intégre toi, intégre toi », j’ai fini par m’intégrer de manière à vouloir passer inaperçu. Et donc du coup j’ai du mal à aller vers les gens, et je laisse souvent les gens venir vers moi. Mais par contre quand les gens viennent vers moi, et tout le personnes qui ont travaillé avec moi te le diront, je donne 100% de moi même, à défaut parfois d’en donner trop, ou de vouloir trop en faire ou en dire. C’est peut être un des mes principaux défaut parce que j’estime que quand je prends un projet, je le prends à coeur, et c’est lié à la réussite de ce sur quoi je suis sensé travailer. Je sais que c’est un peu une qualité et un défaut à la fois, ça peut me valoir des amitiés comme des inimitiés. Mais je m’en fous. Il n’y a pas énormément d’artistes avec lesquels j’aurais voulu bosser parce que déjà les ai presque tous shooter en photo, et ce qui aurait pu se faire ou pas relate du hasard ou de l’opportunité. Quand j’ai vraiment commencé à bosser avec Booba sur « Ouest Side », on a pris une tel avance sur l’industrie en redonnant de la qualité dans ses visuels et essayant tant bien que mal d’y amener un truc nouveau que je me voyais mal travailler avec d’autres artistes. Parce qu’on m’a gentiment fait comprendre que je devais choisir mon camp. Si tu bosses avec Booba, tu ne bosses pas avec nous. Ce qui est paradoxal c’est qu’aux Etats Unis c’est tout l’inverse, si tu te mes à réaliser pour un Jay-Z, Drake, Rick Ross, etc… tu as toute l’industrie derrière qui va vouloir travailler avec toi. C’est le cas de Colin Tilley par exemple ou d’un Grant Singer aujourd’hui. Ce que les artistes US regardent avant tout c’est la qualité, ce que tu apportes de nouveaux en plus de qui a le buzz ou qui est le réal du moment.
BTL : Il y a des choses comme ça que tu n’as pas pu aboutir?
Armen : Pas dans la musique, mais dans la publicité pour ce qui a été de la France il y a 10 ans. Parce que j’avais cette étiquette Hip Hop, je ne pouvais rien faire d’autres.
BTL : C’était un frein?
Armen : Clairement. C’est aussi pour ça que je suis partie de la France. Parce que nul n’est prophète en son pays. Et puis surtout j’avais fait le tour. Bien sur que j’aurais aimé collaborer avec d’autres artistes, mais mon idée c’était d’évoluer sur d’autres terrains comme la publicité justement. Il est vrai que j’ai toujours eu réputation de mec chère. Peu le savent, mais sur certain clip de Booba je n’ai pas été payé. Sur la majorité d’ailleurs. Soit j’ai remis mon salaire dans le clip pour acheter des pellicules, pour avoir plus de lumière, ou pour des extras, ou pour la déco… Je comptais sur la forte probabilité que le clip passe en télé pour toucher mes droits Sacem. Parce qu’en France, chose qui n’existe pas aux Etats Unis, plus ton clip passe en télé, plus tu perçois de droits de la Sacem en tant que créateur visuel et auteur. Même si j’ai un salaire qui apparaissait sur le contrat, ce salaire je ne l’ai jamais perçu. Ca sa fait partie de ses trucs de passionné qui font de moi qui je suis. Effectivement ça coute de l’argent que d’avoir un certain standard de vie, de s’acheter des vêtements de marque de luxe a défaut d’investir aussi sur ton image. À quoi ça sert de porter une paire de basket Louboutin dans tes clips, si tu ne fais rien d’autre qu’une pauvre performance dans une villa qui ne t’appartient pas ? De toute manière les clips de Rap c’est soit le luxe de mauvais gout à outrance ou l’inverse en tombant dans le misérabilisme et en s’inventant des vies qu’aucun ou très peu d’artistes ont vécu.
BTL : C’était peut être construit sur le long terme.
Armen : Non parce qu’avant, il fallait que le clip fasse vendre l’album. Donc les labels ne voulaient pas mettre d’argent dans le clip, si le morceau n’était pas joué en radio ou si il n’avait pas de potentiel d’être diffusé en télévision. Ils préféraient ne pas en faire. Donc tu avais quand même un challenge. Aujourd’hui quoi que tu fasses ça se retrouvera sur Youtube. Donc tu t’en fou de mettre de l’argent ou pas dans un clip. Je l’ai entendu dans la bouche de beaucoup d’artistes : « De toute façon le public ne fait pas la différence ». « Pourquoi on va aller mixer avec tel ou tel ingénieur, mixer dans tel ou tel studio, clipper dans tel endroit…les gens ne font pas la différence ». Je suis déçu quand j’entends ça car en réalité je suis convaincu que le public fait la différence.
BTL : Peux tu nous parler de ton livre qui sort en fin d’année ?
Armen : C’est un projet que je ne voulais pas faire à la base. Je suis constamment sollicité pour participer à des expositions ou des livres. Je refuse beaucoup de projets par manque d’envie et de motivation, puis à force, j’ai finit par me convaincre de le faire.
Ce qui est claire c’est que ce ne sera pas un livre qui prétend raconter l’histoire du RAP en France. Pour cela il faudra se procurer celui de mon pote David LS Delaplace « Le Visage du Rap Français » qui sortira avant le mien.
J’ai commençé la photographie trop tardivement pour avoir la prétention de raconter l’histoire du Rap en France et n’ai malgré tout pas photographié tout le monde.
Ce livre « Season 1 » c’est mon parcours photographique du début des années 90’s à aujourd’hui. Tous les artistes français que j’ai shooté et avec qui j’ai moi même évolué sur le plan technique et professionnel. C’est un bouquin que je conçois comme un objet d’Art et de collection.
Pourquoi « Season 1 » parce qu’il y aura un « Saison 2 » qui sera plus orienté sur le Rap Américain uniquement.
J’en suis encore au tout début, je rencontre des éditeurs et l’idée est effectivement de le sortir mais sans date précise. Je n’ai pas envie de surfer sur la vague de « L’Age D’Or du Rap Français » ou juste faire de l’ombre au projet de David (ou vis et versa). Je le fais pour avant tout me faire plaisir, pour tourner les pages d’un livre qui illustre une partie de ma vie sans avoir à ouvrir toutes les boîtes dans lesquelles je range mes archives photos. C’est un lourd projet parce que tout est essentiellement sur négatif et qu’il me faut tout scanner. Disons que là je déblaye mes archives hahaha. C’est encore un peu tôt pour en parler, mais je me devais de l’annoncer, ce qui pour certains est une bonne nouvelle hahahaha.
Interview réalisé le 09 Mai 2016 à Brooklyn – New York
Remerciements : Armen, Estelle
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